Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/160

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ami ; je te livre à son cœur honnête ; c’est lui qui me répondra de toi.

Ce n’est pas l’affaire d’un moment de corrompre des affections saines qui n’ont reçu nulle altération précédente, & d’effacer des principes dérivés immédiatement des premières lumières de la raison. Si quelque changement s y fait durant mon absence, elle ne sera jamais assez longue, il ne saura jamais assez bien se cacher de moi pour que je n’aperçoive as le danger avant le mal, & que le ne sois pas à temps d’y porter remède. Comme cri ne se déprave pas tout d’un coup, on n’apprend pas tout d’un coup à dissimuler ; & si jamais homme est maladroit en cet art, c’est Émile, qui n’eut de sa vie une seule occasion d’en user.

Par ces soins & d’autres semblables je le crois si bien & des objets étrangers et des maximes vulgaires, que j’aimerois mieux le voir au milieu de la plus mauvaise société de Paris, que seul dans sa chambre ou dans un parc livré à toute l’inquiétude de son âge. On a beau faire, de tous les ennemis qui peuvent attaquer un jeune homme, le plus dangereux & le seul qu’on ne peut écarter, c’est lui-même : cet ennemi pourtant n’est dangereux que par notre faute ; car, comme je l’ai dit mille fois, c’est par la seule imagination que s’éveillent les sens. Leur besoin proprement n’est point un besoin physique : il n’est pas vrai que ce soit un vrai besoin. Si jamais objet lascif n’eût frappé nos yeux, si jamais idée déshonnête rie fût entrée dans notre esprit, jamais peut-être ce prétendu besoin ne se fut fait sentir à nous ; & nous serions demeurés chastes, sans tentations, sans efforts et sans mérite.