Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/186

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Pétersbourg ; tantôt respirant un doux zéphyr, à demi couché dans les fraîches grottes de Tarente ; tantôt dans l’illumination d’un palais de glace, hors d’haleine, & fatigué des plaisirs du bal.

Je voudrois dans le service de ma table, dans la parure de mon logement, imiter par des ornements très simples la variété des saisons, & tirer de chacune toutes ses délices, sans anticiper sur celles qui la suivront. Il y a de la peine & non du goût à troubler ainsi l’ordre de la nature, à lui arracher des productions involontaires qu’elle donne à regret dans sa malédiction, & qui, n’ayant ni qualité ni saveur, ne peuvent ni nourrir l’estomac, ni flatter le palais. Rien n’est plus insipide que les primeurs ; ce n’est qu’à grands frais que tel riche de Paris, avec ses fourneaux et ses serres chaudes, vient à bout de n’avoir sur,a table toute l’année que de mauvais légumes & de mauvais fruits. Si j’avois des cerises quand il gèle, & des melons ambrés au cœur de l’hiver, avec quel plaisir les goûterais-je, quand mon palais n’a besoin d’être humecté ni rafraîchi ? Dans les ardeurs de la canicule, le lourd marron me serait-il fort agréable ? Le préférerais-je sortant de la poêle’à la groseille, à la fraise & aux fruits désaltérants qui me sont offerts sur la terre sans tant de soins ? Couvrir sa cheminée au mois de janvier de végétations forcées, de fleurs pâles & sans odeur, c’est moins parer l’hiver que déparer le printemps ; c’est s’ôter le plaisir d’aller dans les bois chercher la première violette, épier le premier bourgeon, & s’écrier dans un saisissement de joie : Mortels, vous n’êtes pas abandonnés, la nature vit encore.