Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/195

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concourans à leur plaire, l’ennui ; les consume & les tue, ils passent leur vie a le fuir & à en être atteints : ils sont accablés de son poids insupportable : les femmes surtout, qui ne savent plus ni s’occuper ni s’amuser, en sont dévorées sous le nom de vapeurs ; il se transforme pour elles en un mal horrible, qui leur ôte quelquefois la raison, & enfin la vie. Pour moi, je ne connois point de sort plus affreux que celui d’une jolie femme de Paris, après celui du petit agréable qui s’attache à elle, qui, changé de même en femme oisive, s’éloigne ainsi doublement de son état, & à qui la vanité d’être homme à bonnes fortunes fait supporter la langueur des plus tristes jours qu’ait jamais passés créature humaine.

Les bienséances, les modes, les usages qui dérivent du luxe & du bon air, renferment le cours de la vie dans la plus maussade uniformité. Le plaisir qu’on veut avoir aux yeux des autres est perdu pour tout monde : on ne l’a ni pour eux ni pour soi [1]. Le ridicule que l’opinion redoute sur toute chose, est toujours à côté d’elle pour la tyranniser & pour la punir. On n’est jamais, ridicule que par des formes déterminées : celui qui sait varier ses situations & ses plaisirs efface aujourd’hui l’impression d’hier : il est comme nul dans l’esprit des hommes ; mais il jouit, car il est tout

  1. Deux femmes du monde, pour avoir l’air de s’amuser beaucoup, se font une loi de ne jamais se coucher qu’à cinq heures du matin. Dans la rigueur de l’hiver, leurs gens passent la nuit dans la rue à les attendre, fort embarrassés à s’y, garantir d’être gelés. On entre un soir, ou pour mieux dire, un matin, dans l’appartement où ces deux personnes si, amusées laissoient couler les heures sans les compter : On les trouve exactement seules, dormant chacune dans son fauteuil.