Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/219

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comme homme ; partout où elle fait valoir ses droits, elle a l’avantage ; partout où elle veut usurper les nôtres, elle reste au-dessous de nous. On ne peut répondre à cette vérité générale que par des exceptions ; constante manière d’argumenter des galants partisans du beau sexe.

Cultiver dans les femmes les qualités de l’homme, & négliger celles qui leur sont propres, c’est donc visiblement travailler à leur préjudice : les rusées le voient trop bien pour en être les dupes ; en tâchant d’usurper nos avantages, elles n’abandonnent pas les leurs ; mais il arrive de là que, ne pouvant bien ménager les uns & les autres parce qu’ils sont incompatibles, elles restent au-dessous de leur portée sans se mettre à la nôtre, & perdent la moitié de leur prix. Croyez-moi, mère judicieuse, ne faites point de votre fille un honnête homme, comme pour donner un démenti à la nature ; faites-en une honnête femme, & soyez sûre qu’elle en vaudra mieux pour elle & pour nous.

S’ensuit-il qu’elle doive être élevée dans l’ignorance de toute chose, & bornée aux seules fonctions ménage ? L’homme fera-t-il sa servante de sa compagne, se privera-t-il auprès d’elle du plus grand charme de la société ? Pour mieux l’asservir l’empêchera-t-il de rien sentir, de rien connoître ? En fera-t-il un véritable automate ? Non, sans doute ; ainsi ne l’a pas dit la nature, qui donne aux femmes un esprit si agréable & si délié ; au contraire, elle veut qu’elles pensent, qu’elles jugent, qu’elles aiment, qu’elles connoissent, qu’elles cultivent leur esprit comme leur figure ; ce sont les armes qu’elle leur donne pour suppléer a la force