Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/225

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui servent encore de modèle à l’art quand la nature défigurée a cessé de lui en fournir parmi nous. De toutes ces entraves gothiques, de ces multitudes de ligatures qui tiennent de toutes parts nos membres en presse, ils n’en avoient pas une seule. Leurs femmes ignoroient l’usage de ces corps de baleine par les quels les nôtres contrefont leur taille plutôt qu’elles ne la marquent. Je ne puis concevoir que cet abus, poussé en Angleterre à un point inconcevable, n’y fasse pas à la fin dégénérer l’espèce, & je soutiens même que l’objet d’agrément qu’on se propose en cela est de mauvais goût. Il n’est point agréable de voir une femme coupée en deux comme une guêpe ; cela choque la vue & fait souffrir l’imagination. La finesse de la taille a, comme tout le reste, ses proportions, sa mesure, passé laquelle elle est certainement un défaut :ce défaut seroit même frappant a l’œil sur le nu : pourquoi serait-il une beauté sous le vêtement !

Je n’ose presser les raisons sur lesquelles les femmes s’obstinent à s’encuirasser ainsi : un sein qui tombe, un ventre qui grossit, etc., cela déplaît fort, j’en conviens, dans une personne de vingt ans, mais cela ne choque plus à trente ; et comme il faut en dépit de nous être en tout temps ce qu’il plaît à la nature, & que l’œil de l’homme ne s’y trompe point, ces défauts sont moins déplaisants à tout âge que la sotte affectation d’une petite fille de quarante ans.

Tout ce qui gêne & contraint la nature est de mauvais goût ; cela est vrai des parures du corps comme des ornements de l’esprit. La vie, la santé, la raison, le bien-être doivent aller avant tout ; la grâce ne va point sans l’aisance ; la