Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/245

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froides, qu’en se gênant mutuellement elles n’ont pas grand soin de cacher leur gêne, & semblent sincères dans leur mensonge on ne cherchant guère à le déguiser. Cependant les jeunes personnes se font quelquefois tout de bon des amitiés plus franches. À leur âge la gaieté tient lieu de bon naturel ; & contentes d’elles, elles le sont de tout le monde. Il est constant aussi qu’elles se baisent de meilleur cœur & se caressent avec plus de grâce devant les hommes, fières d’aiguiser impunément leur convoitise par l’image des faveurs qu’elles savent leur faire envier.

Si l’on ne doit pas permettre aux jeunes garçons des questions indiscrètes, à plus forte raison doit-on les interdire à de jeunes filles dont la curiosité satisfaite ou mal éludée est bien d’une autre conséquence, vu leur pénétration à pressentir les mystères qu’on leur cache & leur adresse à les découvrir. Mais sans souffrir leurs interrogations, je voudrois qu’on les interrogeât beaucoup elles-mêmes, qu’on eût soin de les faire causer, qu’on les agaçât pour les exercer à parler aisément, pour les rendre vives à la riposte, pour leur délier l’esprit & la langue, tandis qu’on le peut sans danger. Ces conversations toujours tournées en gaieté, mais ménagées avec art & bien dirigées, feroient un amusement charmant pour cet âge, et pourroient porter dans les cœurs innocents de ces jeunes personnes les premières et peut-être les plus utiles leçons de morale qu’elles prendront de leur vie, en leur apprenant, sous l’attroit du plaisir & de la vanité, à quelles qualités les hommes accordent véritablement leur estime, & en quoi consiste la gloire & le bonheur d’une honnête femme.