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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/25

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matifs, dogmatiques, même dans leur scepticisme prétendu, n’ignorant rien, ne prouvant rien, se moquant les uns des autres ; & ce point commun à tous, me parut le seul sur lequel ils ont tous raison. Triomphans quand ils attaquent, ils sont sans vigueur en se défendant. Si vous pesez les raisons, ils n’en ont que pour détruire ; si vous comptez les voix, chacun est réduit à la sienne ; ils ne s’accordent que pour disputer : les écouter n’étoit pas le moyen de sortir de mon incertitude.

Je conçus que l’insuffisance de l’esprit humain est la premiere cause de cette prodigieuse diversité de sentimens, & que l’orgueil est la seconde. Nous n’avons point les mesures de cette machine immense, nous n’en pouvons calculer les rapports ; nous n’en connoissons ni les premieres loix, ni la cause finale ; nous nous ignorons nous-mêmes ; nous ne connoissons ni notre nature, ni notre principe actif ; à peine savons-nous si l’homme est un être simple ou composé ; des mysteres impénétrables nous environnent de toutes parts ; ils sont au-dessus de la région sensible ; pour les percer nous croyons avoir de l’intelligence, & nous n’avons que de l’imagination. Chacun se fraye, à travers ce monde imaginaire, une route qu’il croit la bonne ; nul ne peut savoir si la sienne mene au but. Cependant nous voulons tout pénétrer, tout connoître. La seule chose que nous ne savons point, est d’ignorer ce que nous ne pouvons savoir. Nous aimons mieux nous déterminer au hazard, & croire ce qui n’est pas, que d’avouer qu’aucun de nous ne peut voir ce qui est. Petite partie d’un grand tout dont les bornes nous échappent, & que