Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/293

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chambre en disant qu’elle n’est pas boiteuse. En effet, quoiqu’elle ne soit pas grande, elle n’a jamais voulu de talons hauts ; elle a les pieds assez petits pour s’en passer.

Non seulement elle se tient dans le silence & dans le respect avec les femmes, mais même avec les hommes mariés, ou beaucoup plus âgés qu’elle ; elle n’acceptera jamais de place au-dessus d’eux que par obéissance, & reprendra la sienne au-dessous sitôt qu’elle le pourra ; car elle sait que les droits de l’âge vont avant ceux du sexe, comme ayant pour eux le préjugé de la sagesse, qui doit être honorée avant tout.

Avec les jeunes gens de son âge, c’est autre chose ; elle a besoin d’un ton différent pour leur en imposer, & elle sait le prendre sans quitter l’air modeste qui lui convient. S’ils sont modestes & réservés eux-mêmes, elle gardera volontiers avec eux l’aimable familiarité de la jeunesse ; leurs entretiens pleins d’innocence seront badins, mais décents ; s’ils deviennent sérieux, elle veut qu’ils soient utiles ; s’ils dégénèrent en fadeurs, elle les fera bientôt cesser, car elle méprise surtout le petit jargon de la galanterie, comme très offensant pour son sexe. Elle sait bien que l’homme qu’elle cherche n’a pas ce jargon-là, & jamais elle ne souffre volontiers d’un autre ce qui ne convient pas à celui dont elle a le caractère empreint au fond du cœur. La haute opinion qu’elle a des droits de son sexe, la fierté d’âme que lui donne la pureté de ses sentiments, cette énergie de la vertu qu’elle sent en elle-même & qui la rend respectable à ses propres yeux, lui font écouter avec indignation les propos doucereux dont