Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/302

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trois fois, elle s’en rebutait. Bientôt, à cet air d’autorité qui sembloit accepter les hommages, elle substituoit un maintien plus humble & une politesse plus repoussante. Toujours attentive sur elle-même, elle ne leur laissoit plus l’occasion de lui rendre le moindre service : c’étoit dire qu’elle ne vouloit pas être leur maîtresse.

Jamais les cœurs sensibles n’aimèrent les plaisirs bruyants, vain & stérile bonheur des gens qui ne sentent rien, & qui croient qu’étourdir sa vie c’est en jouir. Sophie, ne trouvant point ce qu’elle cherchait, & désespérant de le trouver ainsi, s’ennuya de la ville. Elle aimoit tendrement ses parents, rien ne la dédommageait d’eux, rien n’étoit propre à les lui faire oublier ; elle retourna les joindre longtemps avant le terme fixé pour son retour.

À peine eut-elle repris ses fonctions dans la maison paternelle, qu’on vit qu’en gardant la même conduite elle avoit changé d’humeur. Elle avoit des distractions, de l’impatience, elle étoit triste & rêveuse, elle se cachoit pour pleurer. On crut d’abord qu’elle aimoit & qu’elle en avoit honte : on lui en parla, elle s’en défendit. Elle protesta n’avoir vu personne qui pût toucher son cœur, & Sophie ne mentait point.

Cependant, sa langueur augmentoit sans cesse, & sa santé commençoit à s’altérer. Sa mère, inquiète de ce changement, résolut enfin d’en savoir la cause. Elle la prit en particulier, & mit en œuvre auprès d’elle ce langage insinuant & ces caresses invincibles que la seule tendresse maternelle sait employer. Ma fille, toi que j’ai portée dans mes entrailles &