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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/31

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On nous dit que l’être sensitif distingue les sensations les unes des autres par les différences qu'ont entre elles ces mêmes sensations : ceci demande explication. Quand les sensations sont différentes, l’être sensitif les distingue par leurs différences : quand elles sont semblables, il les distingue parce qu’il sent les unes hors des autres. Autrement, comment, dans une sensation simultanée, distingueroit-il deux objets égaux ? Il faudroit nécessairement qu’il confondît ces deux objets & les prît pour le même, sur-tout dans un systême où l’on prétend que les sensations représentatives de l’étendue ne sont point étendues.

Quand les deux sensations à comparer sont apperçues, leur impression est faite, chaque objet est senti, les deux sont sentis ; mais leur rapport n’est pas senti pour cela. Si le jugement de ce rapport n’étoit qu’une sensation, & me venoit uniquement de l’objet, mes jugemens ne me tromperoient jamais, puisqu’il n’est jamais faux que je sente ce que je sens.

Pourquoi donc est-ce que je me trompe sur le rapport de ces deux bâtons ? Pourquoi dis-je, par exemple, que le petit bâton est le tiers du grand, tandis qu’il n’en est que le quart ? Pourquoi l’image, qui est la sensation, n’est-elle pas conforme à son modele, qui est l’objet ? C’est que je suis actif quand je juge, que l’opération qui compare est fautive, & que mon entendement qui juge les rapports, mêle ses erreurs à la vérité des sensations qui ne montrent que les objets.

Ajoutez à cela une réflexion qui vous frappera, je m’assure,