Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’Emile. Adieu la liberté, la naÏveté, la franchise. Confus, embarrassé, craintif, il n’ose plus regarder autour de lui, de peur de voir qu’on le regarde. Honteux de se laisser pénétrer, il voudroit se rendre invisible à tout le monde pour se rassasier de la contempler sans être observé. Sophie, au contraire, se rassure de la crainte d’Emile ; elle voit son triomphe, elle en jouit.

Nol mostra già, ben che in suo cor ne rida.

Elle n’a pas changé de contenance ; mais, malgré cet air modeste & ces yeux baissés, son tendre cœur palpite de joie, & lui dit que Télémaque est trouvé.

Si j’entre ici dans l’histoire trop naÏve & trop simple peut-être de leurs innocentes amours, on regardera ces détails comme un jeu frivole, & l’on aura tort. On ne considère pas assez l’influence que doit avoir la première liaison d’un homme avec une femme dans le cours de la vie de l’un & de l’autre. On ne voit pas qu’une première impression, aussi vive que celle de l’amour ou du penchant qui tient sa place, a de longs effets dont on n’aperçoit point la chaîne dans le progrès des ans, mais qui ne cessent d’agir jusqu’à la mort. On nous donne, dans les traités d’éducation, de grands verbiages inutiles & pédantesques sur les chimériques devoirs des enfants ; & l’on ne nous dit pas un mot de la partie la plus importante & la plus difficile de toute l’éducation, savoir la crise qui sert de passage de l’enfance à l’état d’homme. Si j’ai pu rendre ces essais utiles par quelque endroit, ce sera surtout pour m’y être étendu fort au