Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/337

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elle-même laver le linge à la rivière. Croyez-vous, poursuit-il, qu’elle eût dédaigné de toucher aux serviettes sales, en disant qu’elles sentoient le graillon ? Sophie, sur qui le coup porte, oubliant sa timidité naturelle, s’excuse avec vivacité. Son papa sait bien que tout le menu linge n’eût point eu d’autre blanchisseuse qu’elle, si on l’avoit laissée faire,*

[*J’avoue que je sais quelque gré à la mère de Sophie de ne lui avoir pas laissé gâter dam le savon des mains aussi douces que les siennes, et qu’Émile doit baiser si souvent.] & qu’elle en eût fait davantage avec plaisir, si on le lui eût ordonné. Durant ces mots, elle me regarde à la dérobée avec une inquiétude dont je ne puis m’empêcher de rire en lisant dans son cœur ingénu les alarmes qui la font parler. Son père a la cruauté de relever cette étourderie en lui demandant d’un ton railleur à quel propos elle parle ici pour elle, & ce qu’elle a de commun avec la fille d’Alcinous. Honteuse & tremblante, elle n’ose plus souffler, ni regarder personne. Fille charmante ! Il n’est plus temps de feindre : vous voilà déclarée en dépit de vous.

Bientôt cette petite scène est oubliée ou paraît l’être ; très