Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/347

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embellit tous. Son père & sa mère se rappellent leur ancienne opulence en revoyant briller autour d’eux les beaux-arts, qui seuls la leur rendoient chère ; l’amour a paré toute leur maison ; lui seul y fait régner sans frais & sans peine les mêmes plaisirs qu’ils n’y rassembloient autrefois qu’à force d’argent & d’ennui.

Comme l’idolâtre enrichit des trésors qu’il estime l’objet de son culte, & pare sur l’autel le dieu qu’il adore, l’amant a beau voir sa maîtresse parfaite, il lui veut sans cesse ajouter de nouveaux ornements. Elle n’en a pas besoin pour lui plaire ; mais il a besoin, lui, de la parer : c’est un nouvel hommage qu’il croit lui rendre, c’est un nouvel intérêt qu’il donne au plaisir de la contempler. Il lui semble que rien de beau n’est à sa place quand il n’orne pas la suprême beauté. C’est un spectacle à la fois touchant & risible, de voir Emile empressé d’apprendre à Sophie tout ce qu’il sait, sans consulter si ce qu’il lui veut apprendre est de son goût ou lui convient. Il lui parle de tout, il lui explique tout avec un empressement puéril ; il croit qu’il n’a qu’à dire & qu’à l’instant elle l’entendra ; il se figure d’avance le plaisir qu’il aura de raisonner, de philosopher avec elle ; il regarde comme inutile tout l’acquis qu’il ne peut point étaler à ses yeux ; il rougit presque de savoir quelque chose qu’elle ne sait pas.

Le voilà donc lui donnant une leçon de philosophie, de physique, de mathématiques, d’histoire, de tout en un mot. Sophie se prête avec plaisir à son zèle, & tâche d’en profiter. Quand il peut obtenir de donner ses leçons à genoux devant elle, qu’Emile est content ! Il croit voir les cieux ouverts. Cependant, cette