Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/368

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perdu ; deux voisins sont près d’entrer en procès, il les gagne, il les accommode ; un paysan tombe malade, il le fait soigner, il le soigne lui-même ;*

[* Soigner un paysan malade, ce n’est pas le purger, lui donner des drogues, lui envoyer un chirurgien. Ce n’est pas de tout cela qu’ont besoin ces pauvres gens dans leurs maladies ; c’est de nourriture meilleure & plus abondante. jeûnez, vous autres, quand vous avez la fièvre ; mais quand vos paysans l’ont, donnez-leur de la viande & du vin ; presque toutes leurs maladies viennent de misère & d’épuisement : leur meilleure tisane est dans votre cave, leur seul apothicaire doit être votre boucher.] un autre est vexé par un voisin puissant, il le protège & le recommande ; de pauvres jeunes gens se recherchent, il aide à les marier ; une bonne femme a perdu son enfant chéri, il va la voir, il la console, il ne sort point aussitôt qu’il est entré ; il ne dédaigne point les indigents, il n’est point pressé de quitter les malheureux, il prend souvent son repas chez les paysans qu’il assiste, il l’accepte aussi chez ceux qui n’ont pas besoin de lui ; en devenant le bienfaiteur des uns & l’ami des autres, il ne cesse point d’être leur égal. Enfin, il fait toujours de sa personne autant de bien que de son argent.

Quelquefois, il dirige ses tournées du côté de l’heureux séjour : il pourroit espérer d’apercevoir Sophie à la dérobée, de la voir à la promenade sans en être vu ; mais Emile est toujours sans détour dans sa conduite, il ne sait & ne veut rien éluder. Il a cette aimable délicatesse qui flatte & nourrit l’amour-propre du bon témoignage de soi. Il garde à la rigueur son ban, & n’approche jamais assez pour tenir du hasard ce qu’il ne veut devoir qu’à Sophie. En revanche il