Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/377

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prescrit d’arriver à sept, et nous prenons toujours plus de temps qu’il ne nous est nécessaire afin de nous reposer en approchant d’ici. Nous avions déjà fait les trois quarts du chemin, quand des lamentations douloureuses nous frappent l’oreille ; elles partoient d’une gorge de la colline à quelque distance de nous. Nous accourons aux cris : nous trouvons un malheureux paysan qui, revenant de la ville un peu pris de vin sur son cheval, en étoit tombé si lourdement qu’il s’étoit cassé la jambe. Nous crions, nous appelons du secours ; personne ne répond ; nous essayons de remettre le blessé sur son cheval, nous n’en pouvons venir à bout : au moindre mouvement le malheureux souffre des douleurs horribles. Nous prenons le parti d’attacher le cheval dans le bois à l’écart ; puis, faisant un brancard de nos bras, nous y posons le blessé, & le portons le plus doucement qu’il est possible, en suivant ses indications sur la route qu’il falloit tenir pour aller chez lui. Le trajet étoit long ; il fallut nous reposer plusieurs fois. Nous arrivons enfin, rendus de fatigue ; nous trouvons avec une surprise amère que nous connoissions déjà la maison, & que ce misérable que nous rapportions avec tant de peine étoit le même qui nous avoit si cordialement reçus le jour de notre première arrivée ici. Dans le trouble où nous étions tous, nous ne nous étions point reconnus jusqu’à ce moment."

"Il n’avoit que deux petits enfants. Prête à lui en donner un troisième, sa femme fut si saisie en le voyant arriver, qu’elle sentit des douleurs aigues & accoucha peu d’heures