Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/388

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que nous ne pouvons obtenir ; ce qui nous est défendu par la conscience n’est pas d’être tentés, mais de nous laisser vaincre aux tentations. Il ne dépend pas de nous d’avoir ou de n’avoir pas des passions, mais il dépend de nous de régner sur elles. Tous sentiments que nous dominons sont légitimes ; tous ceux qui nous dominent sont criminels. Un homme n’est pas coupable d’aimer la femme d’autrui, s’il tient cette passion malheureuse asservie à la loi du devoir ; il est coupable d’aimer sa propre femme au point d’immoler tout à son amour."

"N’attends pas de moi de longs préceptes de morale ; je n’en ai qu’un seul à te donner, & celui-là comprend tous les autres. Sois homme ; retire ton cœur dans les bornes de ta condition. Etudie & connois ces bornes ; quelque étroites qu’elles soient, on n’est point malheureux tant qu’on s’y renferme ; on ne l’est que quand on veut les passer ; on l’est quand dans ses désirs insensés, on met au rang des possibles ce qui ne l’est pas ; on l’est quand on oublie son état d’homme pour s’en forger d’imaginaires, desquels on retombe toujours dans le sien. Les seuls biens dont la privation coûte sont ceux auxquels on croît avoir droit. L’évidente impossibilité de les obtenir en détache ; les souhaits sans espoir ne tourmentent point. Un gueux n’est point tourmenté du désir d’être roi ; un roi ne veut être dieu que quand il croit n’être plus homme."