Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/401

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D’autres ne s’instruisent point, parce qu’ils ne veulent pas s’instruire. Leur objet est si différent que celui-là ne les frappe guère ; c’est grand hasard si l’on voit exactement ce que l’on ne se soucie point de regarder. De tous les peuples du monde, le François est celui qui voyage le plus ; mais, plein de ses usages, il confond tout ce qui n’y ressemble pas. Il y a des François dans tous les coins du monde. Il n’y a point de pays où l’on trouve plus de gens qui aient voyagé qu’on n’en trouve en France. Avec cela pourtant, de tous les peuples de l’Europe, celui qui en voit le plus les connaît le moins. L’Anglois voyage aussi, mais d’une autre manière ; il faut que ces deux peuples soient contraires en tout. La noblesse anglaise voyage, la noblesse française ne voyage point ; le peuple françois voyage, le peuple anglois ne voyage point. Cette différence me paraît honorable au dernier. Les François ont presque toujours quelque vue d’intérêt dans leur voyage ; mais les Anglois ne vont point chercher fortune chez les autres nations, si ce n’est par le commerce & les mains pleines ; quand ils voyagent, c’est pour y verser leur argent, non pour vivre d’industrie ; ils sont trop fiers pour aller ramper hors de chez eux. Cela fait aussi qu’ils s’instruisent mieux chez l’étranger que ne font les Français, qui ont un tout autre objet en tête. Les Anglois ont pourtant aussi leurs préjugés nationaux, ils en ont même plus que personne ; mais ces préjugés tiennent moins à l’ignorance qu’à la passion. L’Anglois a les préjugés de l’orgueil, & le François ceux de la vanité.

Comme les peuples les moins cultivés sont généralement