Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/411

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Je suis ici mon maître & celui du terrain qui m’appartient ? On sait en quels lieux il est aisé de se faire riche, mais qui sait où l’on peut se passer de l’être ? Qui sait où l’on peut vivre indépendant & libre sans avoir besoin de faire du mal à personne & sans crainte d’en recevoir ? Croyez-vous que le pays où il est toujours permis d’être honnête homme soit si facile à trouver ? S’il est quelque moyen légitime & sûr de subsister sans intrigue, sans affaire, sans dépendance, c’est, j’en conviens, de vivre du travail de ses mains, en cultivant sa propre terre : mais où est l’Etat où l’on peut se dire : La terre que je foule est à moi ? Avant de choisir cette heureuse terre, assurez-vous bien d’y trouver la paix que vous cherchez ; gardez qu’un gouvernement violent, qu’une religion persécutante, que des mœurs perverses ne vous y viennent troubler. Mettez-vous à l’abri des impôts sans mesure qui dévoreroient le fruit de vos peines, des procès sans fin qui consumeroient votre fonds. Faites en sorte qu’en vivant justement vous n’ayez point à faire votre cour à des intendants, à leurs substituts, à des juges, à des prêtres, à de puissants voisins, à des fripons de toute espèce, toujours prêts à vous tourmenter si vous les négligez. Mettez-vous surtout à l’abri des vexations des grands & des riches ; songez que partout leurs terres peuvent confiner à la vigne de Naboth. Si votre malheur veut qu’un homme en place achète ou bâtisse une maison près de votre chaumière, répondez-vous qu’il ne trouvera pas le moyen, sous quelque prétexte, d’envahir votre héritage pour s’arrondir, ou que vous ne verrez pas, dès demain peut-être, absorber toutes vos ressources dans un