Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/43

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concevoir un système d’êtres si constamment ordonnés, que je ne conçoive une intelligence qui l’ordonne. Il ne dépend pas de moi de croire que la matière passive & morte a pu produire des êtres vivants et sentans, qu’une fatalité aveugle a pu produire des êtres intelligents, que ce qui ne pense point a pu produire des êtres qui pensent.

Je crois donc crue le monde est gouverné par une volonté puissante & sage ; je le vois, ou plutôt je le sens, & cela m’importe à savoir. Mais ce même monde est-il éternel ou crée ? Y-t-il un principe unique des choses ? Y en a deux ou plusieurs ? Et quelle est leur nature ? Je n’en sais rien, & que m’importe. À mesure que ces connaissances me deviendront intéressantes, je m’efforcerai de les acquérir ; jusque-là je renonce à des questions oiseuses qui peuvent inquiéter mon amour-propre, mais qui sont inutiles à ma conduite & supérieures à ma raison.

Souvenez-vous toujours que je n’enseigne point mon sentiment, je l’expose. Que la matière soit éternelle créée, qu’il y ait un principe passif ou qu’il n’y en ait point ; toujours est-il certain que le tout est un, & annonce une intelligence unique ; car je ne vois rien qui ne soit ordonné dans le même système, & qui ne concoure à la même fin, savoir la conservation du tout dans l’ordre établi. Cet être qui veut et qui peut, cet être actif par lui-même, cet être enfin, quel qu’il soit, qui m’eut l’univers & ordonne toutes choses, je l’appelle Dieu. Je joins à ce nom les idées d’intelligence, de puissance, de volonté, que j’ai rassemblées, & celle de bonté qui en est une suite nécessaire ; mais je