Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/431

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hommes, & qu’il s’agissoit entre nous d’établir les vrais principes du droit politique. À présent que nos fondements sont posés, venez examiner ce que les homme sont bâti dessus, & vous verrez de belles choses !

Alors je lui fais lire Télémaque & poursuivre sa route ; nous cherchons l’heureuse Salente, & le bon Idoménée rendu sage à force de malheurs. Chemin faisant, nous trouvons beaucoup de Protésilas, & point de Philoclès. Adraste, roi de Dauniens, n’est pas non plus introuvable. Mais laissons les lecteurs imaginer nos voyages, ou les faire à notre place un Télémaque à la main ; & ne leur suggérons point des applications affligeantes que l’auteur même écarte ou fait malgré lui.

Au reste, Emile n’étant pas roi, ni moi dieu, nous ne nous tourmentons point de ne pouvoir imiter Télémaque & Mentor dans le bien qu’ils faisoient aux hommes : personne ne sait mieux que nous se tenir à sa place, & ne désire moins d’en sortir. Nous savons que la même tâche est donnée à tous ; que quiconque aime le bien de tout son cœur, & le fait de tout son pouvoir, l’a remplie. Nous savons que Télémaque & Mentor sont des chimères. Emile ne voyage pas en homme oisif, et fait plus de bien que s’il étoit prince. Si nous étions rois, nous ne serions plus bienfaisants. Si nous étions rois & bienfaisants, nous ferions sans le savoir mille maux réels pour un bien apparent que nous croirions faire. Si nous étions rois et sages, le premier bien que nous voudrions faire à nous-mêmes & aux autres serait d’abdiquer la royauté & de redevenir ce que nous sommes.