Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/434

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s’élude & devient vaine, mais ce qui se fait par l’influence des mœurs & parla pente naturelle du gouvernement ; car ces moyens ont seuls un effet constant. C’étoit la politique du bon abbé de Saint-Pierre de chercher toujours un petit remède à chaque mal particulier, au lieu de remonter à leur source commune, & de voir qu’on ne les pouvoit guérir que tous à la fois. Il ne s’agit pas de traiter séparément chaque ulcère qui vient sur le corps d’un malade, mais d’épurer la masse du sang qui les produit tous. On dit qu’il y a des prix en Angleterre pour l’agriculture ; je n’en veux pas davantage : cela me prouve qu’elle n’y brillera pas longtemps.

La seconde marque de la bonté relative du gouvernement & des lois se tire aussi de la population, mais d’une autre manière, c’est-à-dire de sa distribution, & non pas de sa quantité. Deux Etats égaux en grandeur & en nombre d’hommes peuvent être fort inégaux en force ; & le plus puissant des deux est toujours celui dont les habitants sont le plus également répandus sur le territoire ; celui qui n’a pas de si grandes villes, & qui par conséquent brille le moins, battra toujours l’autre. Ce sont les grandes villes qui épuisent un Etat & font sa faiblesse : la richesse qu’elles produisent est une richesse apparente & illusoire ; c’est beaucoup d’argent & peu d’effet. On dit que la ville de Paris vaut une province au roi de France ; mais je crois qu’elle lui en coûte plusieurs ; que c’est à plus d’un égard que Paris est nourri par les provinces, & que la plupart de leurs revenus se versent dans cette ville & y restent, sans jamais retourner au peuple ni au roi. Il est inconcevable que, dans ce siècle de