Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/444

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observé, qu’importe, si l’intérêt particulier l’a protégé comme auroit fait la volonté générale, si la violence publique l’a garanti des violences particulières, si le mal qu’il a vu faire lui a fait aimer ce qui étoit bien, & si nos institutions mêmes lui ont fait connoître & haÏr leurs propres iniquités ? Ô Emile ! où est l’homme de bien qui ne doit rien à son pays ? Quel qu’il soit, il lui doit ce qu’il y a de plus précieux pour l’homme, la moralité de ses actions & l’amour de la vertu. Né dans le fond d’un bois, il eût vécu plus heureux & plus libre ; mais n’ayant rien à combattre pour suivre ses penchants, il eût été bon sans mérite, il n’eût point été vertueux, & maintenant il sait l’être malgré ses passions. La seule apparence de l’ordre le porte à le connaître, à l’aimer. Le bien public, qui ne sert que de prétexte aux autres, est pour lui seul un motif réel. Il apprend à se combattre, à se vaincre, à sacrifier son intérêt à l’intérêt commun. Il n’est pas vrai qu’il ne tire aucun profit des lois ; elles lui donnent le courage d’être juste, même parmi les méchants. Il n’est pas vrai qu’elles ne l’ont pas rendu libre, elles lui ont appris à régner sur lui."

"Ne dis donc pas : que m’importe ou je sois ? Il t’importe d’être où tu peux remplir tous tes devoirs ; & l’un de ces devoirs est l’attachement pour le lieu de ta naissance. Tes compatriotes te protégèrent enfant, tu dois les aimer étant homme. Tu dois vivre au milieu d’eux, ou du moins en lieu d’où tu puisses leur être utile autant que tu peux l’être, & où ils sachent où te prendre si jamais ils ont besoin de toi. Il y a telle circonstance où