Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/448

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également déplacés. J’aimerois mieux qu’on laissât ces jeunes cœurs se replier sur eux-mêmes, & se livrer à une agitation qui n’est pas sans charme, que de les en distraire si cruellement pour les attrister par une fausse bienséance, ou pour les embarrasser par de mauvaises plaisanteries, qui, dussent-elles leur plaire en tout autre temps, leur sont très sûrement importunes un pareil jour.

Je vois mes deux jeunes gens, dans la douce langueur qui les trouble, n’écouter aucun des discours qu’on leur tient. Moi, qui veux qu’on jouisse de tous les jours de la vie, leur en laisserai-je perdre un si précieux ? Non, je veux qu’ils le goûtent, qu’ils le savourent, qu’il ait pour eux ses voluptés. Je les arrache à la foule indiscrète qui les accable, &, les menant promener à l’écart, je les rappelle à eux-mêmes en leur parlant d’eux. Ce n’est pas seulement à leurs oreilles que je veux parler, c’est à leurs cœurs ; & je n’ignore pas quel est le sujet unique dont ils peuvent s’occuper ce jour-là.

Mes enfans, leur dis-je en les prenant tous deux par la main, il y a trois ans que j’ai vu naître cette flamme vive & pure qui fait votre bonheur aujourd’hui. Elle n’a fait qu’augmenter sans cesse ; je vois dans vos yeux qu’elle est à son dernier degré de véhémence ; elle ne peut plus que s’affaiblir. Lecteurs, ne voyez-vous pas les transports, les emportements, les serments d’Emile, l’air dédaigneux dont Sophie dégage sa main de la mienne, & les tendres protestations que leurs yeux se font mutuellement de s’adorer jusqu’au dernier soupir ? Je les laisse faire, & puis je reprends.

J’ai souvent pensé que si l’on pouvoit prolonger le