Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/451

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sont liés, mais les corps ne sont point asservis. Vous vous devez la fidélité, non la complaisance. Chacun des deux ne peut être qu’à l’autre, mais nul des deux ne doit être à l’autre qu’autant qu’il lui plaît.

S’il est donc vrai, cher Emile, que vous vouliez être l’amant de votre femme, qu’elle soit toujours votre maîtresse & la sienne ; soyez amant heureux, mais respectueux ; obtenez tout de l’amour sans rien exiger du devoir, & que les moindres faveurs ne soient jamais pour vous des droits, mais des grâces. Je sais que la pudeur fuit les aveux formels & demande d’être vaincue ; mais avec de la délicatesse & du véritable amour, l’amant se trompe-t-il sur la volonté secrète ? Ignore-t-il quand le cœur & les yeux accordent ce que la bouche feint de refuser ? Que chacun des deux, toujours maître de sa personne & de ses caresses, ait droit de ne les dispenser à l’autre qu’à sa propre volonté. Souvenez-vous toujours que, même dans le mariage, le plaisir n’est légitime que quand le désir est partagé. Ne craignez pas, mes enfants, que cette loi vous tienne éloignés ; au contraire, elle vous rendra tous deux plus attentifs à vous plaire, & préviendra la satiété. Bornés uniquement l’un à l’autre, la nature & l’amour vous rapprocheront assez.

À ces propos & d’autres semblables, Emile se fâche, se récrie ; Sophie, honteuse, tient son éventail sur ses yeux, & ne dit rien. Le plus mécontent des deux, peut-être, n’est pas celui qui se plaint le plus. J’insiste impitoyablement : je fais rougir Emile de son peu de délicatesse ; je me rends caution pour Sophie qu’elle accepte pour sa part le traité. Je