Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/457

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ravissement qui fait palpiter mon cœur ! Combien de fois je joins leurs mains dans les miennes en bénissant la Providence & poussant d’ardents soupirs ! Que de baisers j’applique sur ces deux mains qui se serrent ! de Combien de larmes de joie ils me les sentent arroser ! Ils s’attendrissent à leur tour en partageant mes transports. Leurs respectables parents jouissent encore une fois de leur jeunesse dans celle de leurs enfants ; ils recommencent pour ainsi dire de vivre en eux, ou plutôt ils connaissent pour la première fois le prix de la vie : ils maudissent leurs anciennes richesses qui les empêchèrent au même âge de goûter un sort si charmant. S’il y a du bonheur sur la terre, c’est dans l’asile où nous vivons qu’il faut le chercher.

Au bout de quelques mois, Emile entre un matin dans ma chambre, & me dit en m’embrassant : Mon maître, félicitez votre enfant ; il espère avoir bientôt l’honneur d’être père. Oh ! quels soins vont être imposés à notre zèle, & que nous allons avoir besoin de vous ! À Dieu ne plaise que je vous laisse encore élever le fils après avoir élevé le père. À Dieu ne plaise qu’un devoir si saint & si doux soit jamais rempli par un autre que moi, dusse-je aussi bien choisir pour lui qu’on a choisi pour moi-même ! Mais restez le maître des jeunes maîtres. Conseillez-nous, gouvernez-nous, nous serons dociles : tant que je vivrai, j’aurai besoin de vous. J’en ai plus besoin que jamais, maintenant que mes fonctions d’homme commencent. Vous avez rempli les vôtres ; guidez-moi pour vous imiter ; et reposez-vous, il en est tems.

FIN.