Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/505

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n’avoit plus rien à desirer de moi pour elle-même. Me fléchir eut été m’avilir, & elle étoit d’autant plus jalouse de mon honneur qu’il ne lui en restoit point d’autre. Sophie pouvoir être criminelle, mais l’époux qu’elle s’étoit choisi devoit être au-desssus d’une lâcheté. Ces rafinemens de son amour-propre ne pouvoient convenir qu’à elle, & peut-être n’appartenoit-il qu’a moi de les pénétrer.

Je lui eus encore cette obligation, même après m’etre séparé d’elle, de m’avoir ramené d’un parti peu raisonné que la vengeance m’avoit fait prendre. Elle s’étoit trompée en ce point dans la bonne opinion qu’elle avoir de moi, mais cette erreur n’en sut plus une aussi-tôt que j’y eus pense ; en ne considérant que l’intérêt de mon fils je vis qu’il faloit le laisser à sa mere, & je m’y déterminai. Du reste, confirmé dans mes sentimens, je résolus d’éloigner son malheureux pere des risques qu’il venoit de courir. Pouvois-je être assez loin d’elle, puisque je ne devois plus m’en rapproche ? C’étoit elle encore, c’étoit son voyage qui venoit de me donner cette sage leçon ; il m’importoit pour la suivre de ne pas rester dans le cas de la recevoir deux sois.

Il faloit fuir ; c’étoit-là ma grande affaire, & la conséquence de tous mes précédens raisonnemens. Mais où fuir ? C’étoit à cette délibération que j’en étois demeuré, & je n’avois pas vu que rien n’étoit plus indifférent que le choix du lieu pourvu que je m’éloignasse.. à quoi bon tant balancer sur ma retraite, puisque par-tout je trouverois à vivre mourir, & que c’étoit tout ce qui me restoit à faire ? Quelle bêtise de l’amour-propre de nous montrer toujours toute la