Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/518

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en projets de révoltes & de conspirations impossibles a exécuter, & qui toujours découverts ne faisoient qu’aggraver sa misere. Je tentai de l’exciter à s’évertuer à mon exemple & à tirer parti de ses bras pour rendre son état plus supportable, mais il. méprisa mes conseils & me dit fiérement qu’il savoit mourir. Monsieur, lui dis-je, il vaudroit encore mieux savoir vivre. Je parvins pourtant à lui procurer quelques soulagemens qu’il reçut de bonne grace, & en. ame noble & sensible ; mais qui ne lui firent pas goûter mes vues. Il continua ses trames pour se procurer, la liberté par un coup hardi, mais son esprit remuant lassa la patience de son maître qui étoit le mien. Cet homme se défit de lui & de moi, nos liaisons lui avoient paru suspectes, & il crut que j’employois à l’aider dans ses manœuvres les entretiens par lesquels je tâchois de l’en détourner. Nous fumes vendus à un entrepreneur d’ouvrages publics, & condamnés à travailler sous les ordres d’un surveillant barbare, esclave comme nous, mais qui pour se faire valoir à son maître nous accabloit de plus de travaux, que la force humaine n’en pouvoit porter.

Les premiers jours ne furent pour moi que des jeux.. Comme on nous partageoit également le travail & que j’étois plus robuste & plus ingambe que tous mes camarades, j’avois fait ma. tâche avant eux, après quoi j’aidois les plus foibles & les allégeois d’une partie de la leur. Mais notre piqueur ayant remarqué ma diligence & la supériorité de mes forces, m’empêcha de les employer pour d’autres en doublant ma tâche, &, toujours augmentant par degrés, finit par