Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/521

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ardeur par l’espoir de la vengeance : enfin il enflamma tellement leur courage par l’admiration de la force d’ame qui sait braver les tourmens & qui triomphe de la puissance même, qu’ils l’interrompirent par des cris, & tous jurerent de nous imiter & d’être inébranlables jusqu’à la mort.

Le lendemain, sur notre refus de travailler, nous fûmes, comme nous nous y étions attendus, très-maltraités les uns & les autres, inutilement toutefois quant à nous deux & à mes trois ou quatre compagnons de la veille, à qui nos bourreaux n’arracherent pas même un seul cri. Mais l’œuvre du chevalier ne tint pas si bien. La constance de ses bouillans compatriotes fut épuisée en quelques minutes, & bientôt à coups de nerf de bœuf, on les ramena tous au travail, doux comme des agneaux. Outré de cette lâcheté, le chevalier tandis qu’on le tourmentoit lui-même, les chargeoit de reproches & d’injures qu’ils n’écoutoient pas. Je tâchai de l’appaiser sur une désertion que j’avois prévue & que je lui avois prédite. Je savois que les effets de l’éloquence sont vifs ruais momentanées Les hommes qui se laissent si facilement émouvoir se calment avec la même facilité. Un raisonnement froid & fort ne fait point d’effervescence, mais quand il prend il pénetre, & l’effet qu’il produit ne s’efface plus.

La foiblesse de ces pauvres gens en produisit un autre auquel je ne m’étois pas attendu, & que j’attribue à une rivalité nationale plus qu’à l’exemple de notre fermeté. Ceux de mes compatriotes qui ne m’avoient point imité les voyant revenir au travail, les huerent, le quitterent à leur tour, & comme pour insulter à leur couardise, vinrent se ranger autour