Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/69

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plus célèbres ? Quelques usages incertains & bizarres fondés sur des causes locales qui nous sont inconnues, détruiront-ils l’induction générale tirée du concours de tous les peuples, opposés en tout le reste, et d’accord sur ce seul point ? Ô Montaigne ! toi qui te piques de franchise & de vérité, sois sincère & vrai, si un philosophe peut l’être, & dis-moi s’il est quelque pays sur la terre où ce soit un crime de garder sa foi, être clément, bienfaisant, généreux ; où l’homme de bien soit méprisable, & le perfide honoré.

Chacun, dit-on, concourt au bien public pour son intérêt. Mais d’où vient donc que le juste y concourt à son préjudice ? Qu’est-ce qu’aller à la mort pour son intérêt ? Sans doute nul n’agit que pour son bien ; mais s’il est un bien moral dont il faut tenir compte, on n’expliquera jamais par l’intérêt propre que les actions des méchants. Il est même à croire qu’on ne tentera point d’aller plus loin. Ce serait une trop abominable philosophie que celle où l’on seroit embarrassé des actions vertueuses ; où l’on ne pourroit se tirer d’affaire qu’en leur controuvant des intentions basses & des motifs sans vertu ; où l’on seroit forcé d’avilir Socrate & de calomnier Régulus. Si jamais de pareilles doctrines pouvoient germer parmi nous, la voix de la nature, ainsi que celle de la raison, s’élèveroient incessamment contre elles, & ne laisseroient jamais à un seul de leurs partisans l’excuse de l’être de bonne foi.

Mon dessein n’est pas d’entrer ici dans des discussions métaphysiques qui passent ma portée & la vôtre, & qui,