Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/71

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conservation en nous donnant des sentiments convenables à notre nature, & l’on ne sauroit nier qu’au moins ceux-là ne soient innés. Ces sentiments, quant à l’individu, sont l’amour de soi, la crainte de la douleur, l’horreur de la mort, le désir du bien-être. Mais si, comme on n’en peut douter, l’homme est sociable par sa nature, ou du moins fait pour le devenir, il ne peut l’être que par d’autres sentiments innés, relatifs à son espèce ; car, à ne considérer que le besoin physique, il doit certainement disperser les hommes au lieu de les rapprocher. Or c’est du système moral forme par ce double rapport à soi-même & à ses semblables, que naît l’impulsion de la conscience. Connoître le bien, ce n’est pas l’aimer : l’homme n’en a pas la connoissance innée, mais sitôt que sa raison le lui fait connoître, sa conscience le porte à l’aimer : c’est ce sentiment qui est inné.

Je ne crois donc pas, mon ami qu’il soit impossible d’expliquer par des conséquences de notre nature le principe immédiat de la conscience, indépendant de la raison même ; & quand cela seroit impossible, encore ne serait-il pas nécessaire : car, puisque ceux qui nient ce principe admis & reconnu par tout le genre humain ne prouvent point qu’il n’existe pas, mais se contentent de l’affirmer ; quand nous affirmons qu’il existe, nous sommes tout aussi bien fondés qu’eux, et nous avons de plus le témoignage intérieur, & la voix de la conscience qui dépose, pour elle-même. Si les premières lueurs du jugement nous éblouissent et confondent d’abord les objets à nos regards, attendons que nos faibles yeux se rouvrent, se raffermissent ; & bientôt nous reverrons