Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/74

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il faut mille efforts de courage pour oser les franchir. Se plaire à bien faire est le prix d’avoir bien fait, et ce prix ne s’obtient qu’après l’avoir mérité. Rien n’est plus aimable que la vertu ; mais il en faut jouir pour la trouver telle. Quand on la veut embrasser, semblable au Protée de la fable, elle prend d’abord mâle formes effrayantes, & ne se montre enfin sous la sienne qu’à ceux qui n’ont point lâché prise.

Combattu sans cesse par mes sentiments naturels qui parloient pour l’intérêt commun, & par ma raison qui rapportoit tout à moi, j’aurois flotté toute ma vie dans cette continuelle alternative, faisant le mal, aimant le bien, & toujours contraire à moi-même, si de nouvelles lumières n’eussent éclairé mon cœur, si la vérité, qui fixa mes opinions, n’eût encore assuré ma conduite & ne m’eût mis d’accord avec moi. On a beau vouloir établir la vertu par la raison seule, quelle solide base peut-on lui donner ? La vertu, disent-ils, est l’amour de l’ordre. Mais cet amour peut-il donc & doit-il l’emporter en moi sur celui de mon bien-être ? Qu’ils me donnent une raison claire & suffisante pour le préférer. Dans le fond leur prétendu principe est un pur jeu de mots ; car je dis aussi, moi, que le vice est l’amour de l’ordre, pris dans un sans différent. Il y a quelque ordre moral partout où il y a sentiment & intelligence. La différence est que le bon s’ordonne par rapport au tout, & que le méchant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci se fait le centre de toutes choses ; l’autre mesure son rayon & se tient à la circonférence. Alors il est ordonné par rapport au centre commun, qui est Dieu, et par rapport