Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/206

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qu’un vieux enfant. Votre douceur, si pleine de dignité, de raison, de bienséance, m’a dit tout ce que ne m’eût pas dit un accueil plus sévere ; elle m’a fait plus rougir de moi que n’eussent fait vos reproches ; & l’accent un peu plus grave que vous avez mis hier dans vos discours m’a fait aisément connoître que je n’aurois pas dû vous exposer à me les tenir deux fois. Je vous entends, Sara, & j’espere vous prouver aussi que si je ne suis pas digne de vous plaire par mon amour, je le suis par les sentimens qui l’accompagnent. Mon égarement sera aussi court qu’il a été grand, vous me l’avez montré, cela suffit ; j’en saurai sortir, soyez-en sûre : quelque aliéné que je puisse être, si j’en avois vu toute l’étendue, jamais je n’aurois fait le premier pas. Quand je méritois des censures vous ne m’avez donné que des avis, & vous avez bien voulu ne me voir que foible lorsque j’étois criminel. Ce que vous ne m’avez pas dit, je sais me le dire ; je sais donner à ma conduite auprès de vous le nom que vous ne lui avez pas donné & si j’ai pu faire une bassesse sans la connoître, je vous ferai voir que je ne porte point un cœur bas. Sans doute c’est moins mon âge que le vôtre qui me rend coupable. Mon mépris pour moi m’empêchoit de voir toute l’indignité de ma démarche. Trente ans de différence ne me montroient que ma honte & me cachoient vos dangers. Hélas ! quels dangers ? Je n’étois pas assez vain pour en supposer : je n’imaginois pas pouvoir tendre un piege à votre innocence, & si vous eussiez été moins vertueuse, j’étois un suborneur sans en rien savoir.

Ô Sara ! ta vertu est à des épreuves plus dangereuses, &