Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/291

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étoit ami du Prince. Eſt-ce par son air, par ſa démarche, par ſa parure efféminée qu’il ſe croit digne de l’Empire ? On ſe trompe beaucoup ſi l’on prend ſon luxe pour de la libéralité. Plus il ſaura perdre, & moins il saura donner. Débauches, feſtins, attroupemens de femmes, voilà les projets qu’il médite, &, ſelon lui, les droits de l’empire, dont la volupté ſera pour lui ſeul, la honte & le déshonneur pour tous ; car jamais ſouverain pouvoir acquis par le crime ne fut vertueuſement exercé. Galba fut nommé Céſar par le genre-humain, & je l’ai été par Galba de votre conſentement : Compagnons, j’ignore s’il vous eſt indifférent que la République, le Sénat & le Peuple ne ſoient que de vains noms, mais je ſais au moins qu’il vous importe que des ſcélérats ne vous donnent pas un Chef.

” On a vu quelquefois des Légions se révolter contre leurs Tribuns. Juſqu’ici votre gloire & votre fidélité n’ont reçu nulle atteinte, & Néron lui-même vous abandonna plutôt qu’il ne fut abandonné de vous. Quoi ! verrons-nous une trentaine au plus de déſerteurs & de transfuges à qui l’on ne permettroit pas de ſe choiſir ſeulement un officier, faire un Empereur ? Si vous ſouffrez un tel exemple, ſi vous partagez le crime en le laiſſant commettre, cette licence paſſera dans les provinces ; nous périrons par les meurtres & vous par les combats ; ſans que la ſolde en soit plus grande pour avoir égorgé ſon Prince, que pour avoir fait ſon devoir : mais le donatif n’en vaudra pas moins, reçu de nous pour le prix de la fidélité, que d’un autre pour le prix de la trahiſon.