Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/61

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Trasymène ; César avec vous eût passé le Rubicon, et asservi son pays mais ce n’est point avec vous que le premier eût traversé les Alpes, & que l’autre eût vaincu vos ayeux.

Les combats ne font pas toujours le succès de la guerre, & il est pour les Généraux un art supérieur à celui de gagner de batailles. Tel court au feu avec intrépidité, qui ne laisse pas d’être un très-mauvais officier : dans le soldat même, un peu plus de force & de vigueur seroit peut-être plus nécessaire que tant de bravoure, qui ne le garantit pas de la mort. & qu’importe à l’Etat que ses troupes périssent par la fièvre & le froid, ou par le fer de l’ennemi ?

Si la culture des sciences est nuisible aux qualités guerrières, elle l’est encore plus aux qualités morales. C’est dès nos premières années qu’une éducation insensée orne notre esprit & corrompt notre jugement. Je vois de toutes parts des établissemens immenses, où l’on élève à grands frais la jeunesse pour lui apprendre toutes choses, excepté ses devoirs. Vos enfans ignoreront leur propre langue, mais ils en parleront d’autres qui ne sont en usage nulle part ; ils sauront composer des vers qu’à peine ils pourront comprendre ; sans savoir démêler l’erreur de la vérité, ils posséderont l’Art de les rendre méconnoissables aux autres par des argumens spécieux : mais ces mots de magnanimité, d’équité, de tempérance, d’humanité, de courage, ils ne sauront ce que c’est ; ce doux nom de Patrie ne frappera jamais leur oreille ; & s’ils entendent parler de Dieu, ce sera moins pour le craindre que pour en avoir peur.* [*Pens. Philosoph.] J’aimerois autant, disoit un Sage, que mon écolier