Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/247

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élans des passions impétueuses, cette inquiétude insurmontable, cette agitation secrete qui me tourmente & dont je ne puis démêler la cause ?

J’ai craint que l’admiration de mon propre ouvrage ne causât la distraction que j’apportois à mes travaux ; je l’ai caché sous ce voile… mes profanes mains ont osé couvrir ce monument de leur gloire. Depuis que je ne le vois plus, je suis plus triste, & ne suis pas plus attentif.

Qu’il va m’être cher, qu’il va m’être précieux, cet immortel ouvrage ! Quand mon esprit éteint ne produira plus rien de grand, de beau, de digne de moi, je montrerai ma Galathée, & je dirai ; voilà mon ouvrage. Ô ma Galathée ! quand j’aurai tout perdu, tu me resteras, & je serai consolé.

Il s’approche du pavillon, puis se retire ; va, vient, & s’arrête quelquefois à le regarder en soupirant.

Mais pourquoi la cacher ? Qu’est-ce que j’y gagne ? Réduit à l’oisiveté, pourquoi m’ôter le plaisir de contempler la plus belle de mes œuvres ?… Peut-être y reste-t-il quelque défaut que je n’ai pas remarqué ; peut-être pourrai-je encore ajouter quelque ornement à sa parure ; aucune grace imaginable ne doit manquer à un objet si charmant… peut-être cet objet ranimera-t-il mon imagination languissante. Il la faut revoir l’examiner de nouveau. Que dis-je ? Eh ! je ne l’ai point encore examinée : je n’ai fait jusqu’ici que l’admirer.

Il va pour lever le voile, & le laisse retomber comme effrayé.

Je ne sais quelle émotion j’éprouve en touchant ce voile ; une frayeur me saisit ; je crois toucher au sanctuaire de quel-