Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/28

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Or rien n’est plus justement suspect que l’honneur d’un poltron.

Tant de réflexions sur la foiblesse de notre nature ne servent souvent qu’a nous détourner des entreprises généreuses. A force de méditer sur les miseres de l’humanité, notre imagination nous accable de leur poids, & trop de prévoyance nous ôte le courage en nous ôtant la sécurité. C’est bien en vain crue nous prétendons nous munir contre les accidens imprévus : " Si la science essayant de nous armer de nouvelles défenses contre les inconvéniens naturels, nous a plus imprime en la fantaisie leur grandeur & poids, qu’elle n’a ses raisons & vaines subtilités à nous en couvrir."

Le goût de la philosophie relâche tous les liens d’estime & de bienveillance qui attachent les hommes à la société, & c’est peut-être le plus dangereux des maux qu’elle engendre. Le charme de l’étude rend bientôt insipide tout autre attachement. De plus, à force de réfléchir sur l’humanité, à force d’observer les hommes, le Philosophe apprend à les apprécier selon leur valeur, & il est difficile d’avoir bien de l’affection pour ce qu’on méprise. Bientôt il réunit en sa personne tout l’intérêt que les hommes vertueux partagent avec leurs semblables : son mépris pour les autres tourne au profit de son orgueil ; son amour-propre augmente en même proportion