Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/483

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Enfin arriva la catastrophe qui détruisit les progrès de l’esprit humain, sans ôter les vices qui en étoient l’ouvrage. L’Europe, inondée de barbares & asservie par des ignorans, perdit à la fois ses sciences, ses arts, & l’instrument universel des uns & des autres, savoir, la langue harmonieuses perfectionnée. Ces hommes grossiers que le nord avoit engendrés accoutumerent insensiblement toutes les oreilles à la rudesse de leur organe : leur voix dure & dénuée d’accent étoit bruyante sans être sonore. L’empereur Julien comparoit le parler des Gaulois au croassement des grenouilles. Toutes leurs articulations étant aussi âpres que leurs voix étoient nasales & sourdes, ils ne pouvoient donner qu’une sorte d’éclat à leur chant, qui étoit de renforcer le son des voyelles pour couvrir l’abondance & la dureté des consonnes.

Ce chant bruyant, joint à l’inflexibilité de l’organe, obligea ces nouveaux venus & les peuples subjugués qui les imiterent de ralentir tous les sons pour les faire entendre. L’articulation pénible & les sons renforcés concoururent également à chasser de la mélodie tout sentiment de mesure & de rhythme. Comme ce qu’il y avoit de plus dur à prononcer étoit toujours le passage d’un son à l’autre, on n’avoit rien de mieux à faire que de s’arrêter sur chacun le plus qu’il étoit possible, de le renfler, de le faire éclater le plus qu’on pouvait. Le chant ne fut bientôt plus qu’une suite ennuyeuse & lente de sons traînans & criés, sans douceur, sans mesure, & sans grace ; & si quelques savans disoient qu’il falloit observer les longues & les brèves dans le chant latin, il est sûr au moins qu’on chanta les vers comme de la prose, & qu’il ne fut plus