Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/540

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Musique Françoise tout l’avantage que la raison m’a force à lui ôter dans le cours de cette Lettre ; c’est la juger sur m propres regles ; de sorte que quand cette scene seroit aussi parfaite qu’on le prétend, on n’en pourroit conclure autre chose, sinon que c’est de la Musique Françoise bien faite, ce qui n’empecheroit pas que le genre étant démontre mauvais ce ne fut absolument de mauvaise Musique ; il ne s’agit donc ici que de voir si l’on peut l’admettre pour bonne, au moins dans son genre.

Je vais pour cela, tacher d’analyser, en peu de mots, ce célébré monologue d’Armide, enfin est en ma puissance, qui passe pour un chef-d’œuvre de déclamation, & que les Maîtres donnent eux-mêmes pour le modele le plus parfait du vrai récitatif François.

Je remarque d’abord que M. Rameau l’a cite avec raison, en exemple d’une modulation exacte & très-bien liée : mais cet éloge applique au morceau dont il s’agit, devient une véritable satire, & M. Rameau lui-même se seroit bien garde de mériter une semblable louange en pareil cas ; car que peut-on penser de plus mal conçu que cette régularité scholastique, dans une scene ou l’emportement, la tendresse & le contraste des passions opposées mettent l’Actrice & Spectateurs dans la plus vive agitation ? Armide furieuse vient poignarder son ennemi. À son aspect, elle hésite, elle se laisse attendrir, le poignard lui tombe des mains ; elle oublie tous ses projets de vengeance, & n’oublie pas un seul instant sa modulation. Les réticences, les interruptions, transitions intellectuelles que le Poete offroit au Musicien,