Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/139

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LIVRE PREMIER 129

Enfin, chacun se donnant à tous ne se donne à personne (1) ; et, comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a.

Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivants : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ( 2 ). »

impossible de faire autrement : c'est à cette condition seulement que le pacte social peut porter ses fruits et substituer à l'état de nature un état conventionnel avantageux pour tous. Car si l'individu gardait, après le pacte, quelques-uns de ses droits naturels, en tant que tels, il serait seul juge de ce qu'il doit faire pour les exercer et pour les protéger ; il se mettrait donc, pour une partie au moins de ses actions, en dehors de la société et au-dessus des lois; on retomberait ainsi dans tous les maux de l'état de nature. Il faut donc admettre que dans l'état social nous ne pouvons prétendre à aucun droit naturel qui ne soit reconnu et garanti par la société.

( 1 ) Benjamin Constant notamment (Cours de Polit, constit., ch. I) a fortement combattu cette affirmation. Cela est faux, dit-il, car, en se donnant à tous, « on se donne à ceux qui agissent au nom de tous ». Mais Rousseau a pré- cisément voulu proposer un régime dans lequel la volonté générale seule fût efficacement souveraine et dans lequel les magistrats, investis de la puissance publique, ne pussent s'en servir que pour faire exécuter la loi, c'est-à-dire la volonté de tous. — Il s'agira de voir si cela est en effet possible et réalisable.

( 2 ) Ce dernier membre de phrase, assez obscur, signifie que tous les contractants reçoivent des droits égaux, et que le corps social reconnaît chacun d'eux comme membre de l'État, devant avoir sa voix dans les assemblées.