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204 DU CONTRAT SOCIAL

Supposons que l'Etat soit composé de dix mille citoyens. Le souverain ne peut être considéré que collectivement et en corps ; mais chaque particu lier, en qualité de sujet, est considéré comme indi- vidu (*) : ainsi le souverain est au sujet comme dix mille est à un, c'est-à-dire que chaque membre de l'État n'a pour sa part que la dix millième partie de l'autorité souveraine, quoiqu'il lui soit soumis tout entier. Que le peuple soit composé de cent mille hommes, l'état des sujets ne change pas, et chacun porte également tout l'empire des lois, tandis que son suffrage, réduit à un cent millième, a dix fois moins d'influence dans leur rédaction. Alors, le sujet restant toujours un, le rapport du souverain augmente en raison du nombre des citoyens. D'où il suit que, plus l'État s'agrandit, plus la liberté diminue ( 2 ).

Quand je dis que le rapport augmente, j'entends qu'il s'éloigne de l'égalité. Ainsi, plus le rapport est grand dans l'acception des géomètres, moins il y a de rapport dans l'acception commune : dans la pre-

(*) En effet, c'est par un acte collectif que les citoyens, en tant que membres du souverain, font les lois, tandis que ces lois sont appliquées à chacun d'eux pris individuel- lement, en tant que membre de l'Etat. On peut donc écrire :

E i

_ p ar exemple.

S lo.ooo

( 2 ) Lorsque la population augmente, la valeur propre de chaque sujet ne change pas (E = i), mais la puissance totale du souverain augmente en proportion du nombre de ses membres (S = 10.000, S = ioo.ooo, etc.). Donc l'impor- tance relative du sujet par rapport au souverain diminue en proportion inverse. Il est donc soumis à une autorité d'au- tant plus forte que l'État est plus nombreux, et il est par suite d'autant moins libre.

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