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CHAPITRE VII

DE LA CENSURE

De même que la déclaration de la volonté générale se fait par la loi, la déclaration du jugement public se fait par la censure [1] ; l’opinion est l’espèce de loi dont le censeur est le ministre et qu’il ne fait qu’appliquer aux cas particuliers, à l’exemple du prince [2].

Loin donc que le tribunal censorial soit l’arbitre de l’opinion du peuple, il n’en est que le déclarateur, et, sitôt qu’il s’en écarte, ses décisions sont vaines et sans effet [3].

Il est inutile de distinguer les mœurs d’une nation des objets de son estime ; car tout cela tient au même principe et se confond nécessairement. Chez tous les peuples du monde, ce n’est point la nature, mais l’opinion, qui décide du choix de leurs

  1. Rousseau entend ici par censure une magistrature qui serait exclusivement chargée de veiller à la pureté des mœurs, en flétrissant les actes qui, sans être légalement punissables, blessent cependant la morale publique. — C’était en effet une des principales attributions des censeurs de Rome.
  2. Le censeur est l’interprète d’une loi « non écrite » et il ne fait que donner une expression officielle aux jugements spontanés de l’opinion publique.
  3. Si l’opinion publique n’est pas d’accord avec l’arrêt du censeur, elle brise nécessairement cet arrêt, puisqu’elle l’empêche d’avoir pour sanction l’infamie effective du coupable.