Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/328

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le vainqueur, leur attira les persécutions qu’on lit dans leur histoire, et dont on ne voit aucun autre exemple avant le christianisme [1].

Chaque religion étant donc uniquement attachée aux lois de l’Etat qui la prescrivait, il n’y avait point d’autre manière de convertir un peuple que de l’asservir, ni d’autres missionnaires que les conquérants ; et l’obligation de changer de culte étant la loi des vaincus, il fallait commencer par vaincre avant d’en parler. Loin que les hommes combattissent pour les dieux, c’étaient, comme dans Homère, les dieux qui combattaient pour les hommes ; chacun demandait au sien la victoire, et la payait par de nouveaux autels. Les Romains, avant de prendre une place, sommaient ses dieux de l’abandonner ; et quand ils laissaient aux Tarentins leurs dieux irrités, c’est qu’ils regardaient alors ces dieux comme soumis aux leurs, et forcés de leur faire hommage. Ils laissaient aux vaincus leurs dieux, comme ils leurs laissaient leurs lois. Une couronne au Jupiter du Capitole était souvent le seul tribut qu’ils imposaient.

Enfin les Romains ayant étendu, avec leur empire, leur culte et leurs dieux, et ayant souvent eux-mêmes adopté ceux des vaincus, en accordant aux uns et aux autres le droit de cité, les peuples de ce vaste empire se trouvèrent insensiblement avoir des multitudes de dieux et de cultes, à peu près les mêmes partout ; et voilà comment le paganisme ne fut enfin

  1. (a) Il est de la dernière évidence que la guerre des Phocéens, appelée guerre sacrée, n’était point une guerre de religion ; elle avait pour objet de punir des sacrilèges, et non de soumettre des mécréants. (Note de Rousseau).