Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/330

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l’esprit du christianisme a tout gagné. Le culte sacré est toujours resté ou redevenu indépendant du souverain, et sans liaison nécessaire avec le corps de l’État. Mahomet eut des vues très saines ; il lia bien son système politique, et tant que la forme de son gouvernement subsista sous les califes ses successeurs, ce gouvernement fut exactement un, et bon en cela. Mais les Arabes, devenus florissants, lettrés, polis, mous et lâches, furent subjugués par des barbares ; alors la division entre les deux puissances recommença ; quoiqu’elle soit moins apparente chez les mahométans que chez les chrétiens, elle y est pourtant, surtout dans la secte d’Ali ; et il y a des États, tels que la Perse, où elle ne cesse de se faire sentir.

Parmi nous, les rois d’Angleterre se sont établis chefs de l’Église ; autant en ont fait les Césars ; mais, par ce titre, ils s’en sont moins rendus les maîtres que les ministres ; ils ont moins acquis le droit de la changer que le pouvoir de la maintenir ; ils n’y sont pas législateurs, ils n’y sont que princes. Partout où le clergé fait un corps[1], il est maître et législateur dans sa patrie. Il y a donc deux puis-

  1. (a) Il faut bien remarquer que ce ne sont pas tant des assemblées formelles, comme celles de France, qui lient le clergé en un corps, que la communion des églises. La communion et l’excommunication sont le pacte social du clergé, pacte avec lequel il sera toujours le maître des peuples et des rois. Tous les prêtres qui communiquent ensemble sont concitoyens, fussent-ils des deux bouts du monde. Cette invention est un chef-d’œuvre en politique. Il n’y avait rien de semblable parmi les prêtres païens : aussi n’ont-ils jamais fait un corps de clergé. (Note de Rousseau).