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12 ROUSSFAU HISTORIEN

Qu’on ne craifjne pourtant que cette inclination me porte jusqu’à la partialité; je sais quels sont ics droits sacrés de l’histoire; si j’honore Lacédémone, j’honore encore plus la vérité, et si cette histoire ressemble quelque fois à un panégyrique on doit moins s’en prendre à moi-même qu’aux vertus de ceux dont je parle, ou aux monumens que j’ai consultés.

Mais j’ai peine à concevoir comment la jalousie et l’incrédu- lité oseraient jetter des soupçons de flatterie sur des événe- mens aussi peu suspects à cet égard que ceux qui composent cet ouvrage. Tous transmis à la postérité par des nations étrangères ou ennemies, on doit présumer que le bien y est plus exténué que le mal; car quant aux Spartiates, laissant aux autres le soin de donner les préceptes de la vertu et contens d’en donner l’exemple, ils n’ont point avili leur gloire en l’exaltant; sans se louer eux-mêmes et soucier des louanges des leurs ennemis, ils les leur ont continuellement arrachées; braves et vertueux en silence, ils n’ont rîén fait pour obtenir l’immortalité que de la mériter. Ce n’est pas qu’ils ayent toujours bien fait en toutes choses : ils étaient hommes et ils eurent des faiblesses ; ils devinrent ambitieux, et ils commirent des crimes. À Dieu ne plaise que j’entreprenne d’excuser leurs fautes et que ma plume prête un coloris à leurs vices. J’atteste l’âme des Lecteurs à la lecture de cet ouvrage s’ils voyent autre chose dans la mienne que l’amour de la vertu et le désir d’obtenir d’eux en son honneur un si juste tribut de louange ou de blâme pour les hommes et pour les choses qui en seront dignes sans égard aux nations.

Je sens bien que le cœur s’échaufife et s’enflamme au récit des grandes actions; il est difficile que le stile ne s’élève et ne s’anime à proportion. Mais le mépris et l’indignation ont aussi leur véhémence et pourvu que ces sentimens soient equitablement distribués je me soucie fort peu qu’on me reproche d’avoir manqué de cette froideur grave recommandée aux historiens, je ne sais pourquoi, comme si la principale utilité de l’histoire n’était pas de faire aimer avec ardeur tous les gens de bien et détester les méchans.

Le plus grand inconvénient de celle que j’entreprends est qu’on y voit des hommes qui ne nous ressemblent presque en rien, qui nous paraissent hors de nature peut-être autant