Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 1.djvu/14

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turaliste, le maître peintre paysagiste qui mit, si je puis dire, une touche de vert dans la littérature, l’énamouré des jeunes et timides amours dont procèdent tous les descriptifs, de Bernardin de Saint-Pierre à Flaubert ; aujourd’hui, en étudiant de plus près et physiologiquement cet homme étrange, il me déplaît de voir des psychologues — les aveux de Rousseau relatifs à sa passion bizarre pour le châtiment que lui infligeait madame Lambercier leur en donnent le droit — le ranger scientifiquement parmi les fétichistes de l’amour, pis encore, parmi les maniaques entachés d’exhibitionisme et qui relèveraient à la fois aujourd’hui de la médecine et de la police correctionnelle. La science ne respecte rien. Mais Rousseau n’a-t-il pas, avec la plus cruelle franchise, donné à ses révélations sur lui-même la valeur rigoureuse d’un cas dépendant d’une clinique ?

Il faut lui savoir gré de ses aveux. Les Mémoires d’un homme sont peut-être ce qui intéresse le plus vivement la postérité. Les aveux sont plus attirants que les œuvres. Aujourd’hui, de Chateaubriand et de madame Sand ce que je relis avec le plus de plaisir, ce sont les admirables Mémoires d’Outre-tombe et la curieuse, trop peu connue Histoire de ma Vie, sans compter les Lettres d’un voyageur, ces autres Confessions d’un disciple de Jean-Jacques. Le premier passant venu parmi ces hommes qui, « éphémères sans ailes, comme dit Aristophane, ressemblent à des rêves », raconterait sincèrement l’histoire secrète de sa pensée que ce testament d’un inconnu intéresserait déjà l’humanité, avide de sincérité et de vérité simple. À plus forte raison, l’avenir se penche-t-il avec une sorte d’avidité sur les livres où palpite encore, une grande âme. Quoi que fasse la mode, quelque peu de temps qu’il reste au lecteur moderne pour revenir au passé et rouvrir la bibliothèque d’autrefois, reprendre et relire les vieux livres, le livre des Confessions, est un de ceux-là.

C’est avec un volume de ces Confessions sous le bras que j’ai tait, il y a longtemps, mon premier voyage : et je me rappelle avec quelle émotion, un matin de mai — si loin maintenant ce matin de printemps ! — je demandai le chemin des Charmettes.