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Les Exploits d’Iberville

sangliers qui ravageaient depuis quelque temps le canton, et c’est le plus terrible d’entre eux, un vieux solitaire, sorti de sa bauge, qu’il s’agissait d’abattre. Le marquis avait alors soixante-dix ans passés, et malgré son grand âge, il était encore bien assis sur sa selle et avait conservé grand air. De tristes pensées, hôtes ordinaires du logis, étaient venues assaillir son esprit, et inconscient, il laissait flotter les rênes sur le coup de son cheval normand, compagnon journalier de ses chasses.

« Tout-à-coup déboucha d’un fourré voisin un énorme sanglier qui se précipita dans la direction du marquis. Les instincts du preux veneur se réveillèrent. Saisissant son mousquet, pendant à l’arçon de la selle, il ajusta le monstre et fit feu ; mais le cheval effrayé ayant fait un écart, la balle ne fit que lui labourer l’échine, redoublant la rage de l’animal qui, d’un bond prodigieux, se précipita sur la noble bête et lui laboura le poitrail de son boutoir.

« Le cheval hennit de douleur, pirouetta sur ses pieds de derrière et partit à fond de train.

« Combien de temps dura cette course affolée ? Le marquis n’aurait su le dire. Cheval et cavalier débouchèrent enfin dans une clairière, mais alors le danger, en changeant de caractère, devint plus terrible : l’extrémité de cette clairière se terminait par un ravin profond et coupé à pic, et le cheval allait y précipiter son maître.

« Certes, le marquis ne craignait pas la mort qu’il