Aller au contenu

Page:Routhier - À travers l'Espagne, lettres de voyage, 1889.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 93 —

à pleurer. Sa mère lui adressa alors ces paroles pleines d’amertume : « Tu peux bien pleurer comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme. »

Cette colline porte aujourd’hui le nom de « Montagne des larmes. »

Certes, quand on a visité l’Alhambra, l’on se dit que Boabdil avait bien des raisons de pleurer. Il ne perdait pas seulement l’empire d’Occident, et son prestige auprès des Musulmans ; mais, comme le premier homme après sa chute, il était chassé pour jamais d’un véritable paradis terrestre.

Lorsque je vis pour la première fois cet Éden, je restai sous le coup d’une émotion indéfinissable. Je cherchais des mots, des images, des figures de rhétorique pour exprimer mes impressions, et je ne trouvais rien. Toutes sortes d’idées plus ou moins exagérées, de visions plus ou moins fantastiques, m’assiégeaient, et quand j’essayais de leur donner une forme, je sentais qu’elle n’était pas au diapason de mon enthousiasme.

Il me semblait que j’avais fait une ascension dans les sphères de l’idéal, et que j’étais retombé sur la terre. Et pourtant ce n’était là que le paradis de Mahomet. Comment donc, me disais-je, saint Paul a-t-il pu voir le Paradis chrétien sans mourir ?

Au temps de sa splendeur, l’Alhambra était toute une ville composée de quartiers militaires, de palais et de mosquées. Ses grandes tours carrées, couronnées de créneaux, qui s’élançaient des murailles, et qui s’éta-