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qu’il était partout et que rien ne se faisait sans lui.

Chaque année il accomplissait une œuvre nouvelle, toujours pour l’agrandissement du Canada. En 1870, il donnait une constitution à la nouvelle province du Manitoba, et en 1871, la Colombie Britannique était admise dans la Confédération. En quelques années notre pays, était ainsi devenu l’un des plus grands du monde en étendue. Mais il fallait rapprocher l’Est de l’Ouest, et relier les deux océans par une grande voie de communication.

Ce fut encore notre grand concitoyen qui proposa à la Chambre des Communes le colossal projet du chemin de fer du Pacifique.

Ce fut lui qui conduisit le débat, qui répondit à toutes les critiques, et qui fit adopter la loi le premier juin 1872. Quand le vote fut pris, les plus chaleureuses acclamations saluèrent son triomphe, et il s’écria : « ALL ABOARD FOR THE WEST ! ».

Ce fut le dernier et l’un des plus importants succès de sa carrière, qui touchait à sa fin.

Sir Georges n’avait encore que cinquante-huit ans. Mais son activité merveilleuse, et ses travaux herculéens qui ne lui avaient jamais permis aucun repos, avaient fini par ruiner complètement sa santé, et il était atteint d’une maladie qui ne pardonne pas.

Allait-il enfin se reposer ? — Impossible, car le moment des élections générales était venu. Il fallut continuer cette perpétuelle bataille qui le tuait.

Il fut de nouveau candidat dans Montréal-Est, et bientôt, pour des raisons qu’il serait trop long de faire connaître, on put prévoir qu’il serait battu. Les amis les plus dévoués d’autrefois l’avaient abandonné. Ceux qui lui étaient restés fidèles luttèrent jusqu’à la fin, mais ne purent le sauver de la défaite.

Il y avait du Bonaparte dans Sir Georges Cartier, et comme le Corse aux cheveux plats, il avait pris son peuple pour un cheval de bataille. Il était monté tout botté sur son dos, et sans relâche il le conduisait de bataille en bataille et de victoire en victoire. Mais il eut un jour la même aventure que Bonaparte. Son noble coursier s’est cabré, et le cavalier est tombé pour ne plus se relever.

Le Manitoba lui offrit un autre cheval de bataille, en l’élisant par acclamation dans le comté de Provencher. Mais le temps des combats était passé pour lui. Sa carrière si belliqueuse était finie, et il pouvait se rendre le témoignage qu’il avait rempli sa mission.

Le grand édifice de la Confédération Canadienne était construit, et ses fondements solides lui assuraient des siècles de vie nationale : l’architecte pouvait mourir.

Les hommes de l’art, espérant encore prolonger sa précieuse existence, lui conseillèrent d’aller consulter les grands médecins de Londres, et il partit pour l’Europe le 28 septembre 1872.

Je n’oublierai jamais la scène touchante de son départ de Québec. En grand nombre nous étions allés lui dire adieu. Il était debout sur le pont supérieur du steamer, et nous étions groupés en face de lui sur le quai.

Nous lui présentâmes une adresse, et il y répondit d’une voix très émue. Tout à coup, le brutal sifflet d’un bateau voisin couvrit ses paroles, et il fut forcé de s’interrompre. Mais dès qu’il put se faire entendre il reprit : « Je suis habitué aux interruptions, mais celle-ci est plus violente que les autres, et ce sifflet est plus fort que moi. Vous voyez cependant qu’il ne m’a arrêté qu’un instant. Il en sera de même de l’échec électoral que je viens de subir à Montréal. Ce n’est pas cela qui mettra fin à ma carrière. Je ne suis pas de ceux que de pareils accidents