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LE VIEUX CHEF DES MANDANES

Il lui glissa entre les lèvres quelques gouttes d’un cordial, et éprouva bientôt la satisfaction de le voir revenir à la vie. Les lèvres s’agitèrent, les paupières battirent, ses yeux s’ouvrirent et ses traits se contractèrent en un spasme douloureux. Il reconnut M. de la Vérendrye et voulut parler. D’abord des sons inarticulés s’échappèrent de sa gorge, puis, faisant un effort, il réussit à se faire entendre, et ses premières paroles furent pour demander « un homme à la robe noire, » un ministre de Dieu, disant qu’il sentait bien venir sa fin et qu’il ne voulait pas mourir sans avoir l’une des robes noires qui lui avaient déjà parlé d’une vie plus belle que celle-ci.

De Noyelles envoya Jacques chez les Sulpiciens, qui demeuraient tout près de l’auberge, avec mission d’amener un prêtre pour recevoir les derniers aveux d’un mourant.

Le médecin se retira en disant aux deux amis qu’il était impuissant à soulager le Bison, et que celui-ci le comprenait parfaitement.

— Profitez, leur dit-il, du répit que lui donne la mort pour découvrir l’auteur de ce crime.

Aussitôt le médecin sorti, le Bison fit signe à Joseph qu’il voulait lui parler, à lui seul, mais ce dernier montrant de Noyelles, expliqua au peau-rouge qu’il était un de ses parents, en qui il avait pleine confiance, et qu’il pouvait parler devant lui, mais Baptiste et l’aubergiste s’éclipsèrent. Comme ces deux personnages allaient sortir de la chambre le sauvage faisant un effort pour se relever, hurla, son visage exprimant la colère, la haine, la fureur :

— Il est là celui qui a frappé traîtreusement le Bison… je l’entends !…

Il désignait la pièce voisine.

On s’y précipita, mais on n’y découvrit rien d’anormal.

Évidemment le pauvre homme délirait !…

Nous avons dit qu’une ombre avait regardé par l’une des fentes d’un volet de l’auberge pour connaître ce qui se passait en dedans. Quand l’homme de science et Baptiste arrivèrent près de la maison, leurs pas avertirent l’inconnu de leur approche. Celui-ci se tapit vivement dans la porte cochère de la maison.

Lorsque le médecin sortit, un plan audacieux avait germé dans le cerveau de l’être mystérieux. Il se glissa jusqu’à la porte de l’habitation, et faisant jouer le pêne, s’aperçut avec joie que l’entrée était libre. Sans bruit, il se coula dans la première pièce. Sans bruit ?… Non ; car, l’oreille du sauvage, si fine, si subtile, avait saisi le bruit de son entrée, imperceptible à l’ouïe des autres personnes présentes.

Mais les paroles d’alarme du Bison parvinrent jusqu’à l’étranger qui disparut prestement dans une autre chambre.

Ne voyant plus que les deux gentilshommes à son chevet, le Mandane reprit :

— Mon frère pâle a été bon pour le Bison… Avant d’aller auprès du grand manitou, il va lui confier un secret qui le rendra riche… bien riche !… Le chef Mandane n’oublie jamais les bienfaits reçus de son frère blanc, et du père de ce frère, le grand voyageur !… Le Bison meurt aujourd’hui pour n’avoir pas livré ce