Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1781, tome 1.djvu/266

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le meilleur maître pour faire des progrès rapides sous sa direction ; au lieu que l’art le plus nécessaire à la vie, & qui tient de plus près à la sagesse, n’a ni disciples qui l’apprennent, ni maîtres qui l’enseignent. J’ai cependant vu établir des écoles de rhéteurs, de géomètres, de musiciens, de danseurs, des maîtres pour enseigner l’art dangereux d’apprêter les mets, de la manière la plus attrayante pour la gourmandise ; des maîtres pour ajuster les cheveux, parer les têtes[1] ; au lieu que je n’ai jamais vu aucun maître pour enseigner l’agriculture, ni disciple pour l’apprendre. De-là, l’objet le plus intéressant pour la prospérité de la république, est encore le plus éloigné de sa perfection. Actuellement, nous dédaignons faire cultiver nos terres par nous-mêmes, & nous regardons comme fort peu important d’avoir un métayer très-instruit. Le recommandé, le protégé est sûr d’obtenir cette place. Si un homme riche achète une possession, il y relègue le plus énervé de ses valets, celui qui est le plus cassé par les années. Si, au contraire, un homme dont la fortune soit médiocre, fait cet achat, il met à la tête de ses travaux un homme à gage qui le trompera, & un homme qui n’a aucune des notions essentielles pour l’administration ; enfin, ce sera un homme à routine, comme si la coutume d’un village pouvoit & devoit s’appliquer au terrain d’un autre village, éloigné seulement de quelques lieues… c’est ce qui fait que dans ce même Latium, & dans cette même terre de Saturne, où les dieux avoient pris la peine d’enseigner eux-mêmes l’agriculture à leurs enfans, nous sommes réduits aujourd’hui, pour ne pas mourir de faim, de traiter avec des commissionnaires qui nous apportent du bled des provinces situées au-delà des mers : telles sont la Betique, la Gaule, &c. Ces faits sont d’autant moins surprenans, que, suivant l’opinion généralement reçue, l’agriculture est un métier vil, & de nature à n’avoir besoin d’aucun renseignement pour être appris. Quant à moi, lorsque je considère cet art dans le grand, & lorsque je l’envisage, formant un corps d’étude d’une très-vaste étendue, & ensuite descendant dans toutes les parties qui composent sa totalité, je crains de voir la fin de mes jours avant d’en avoir pu acquérir la connoissance entière. »

Ce que Columelle disoit aux romains, je crois devoir l’appliquer à mes compatriotes : les uns n’hésitent sur rien, & pensent que l’agriculture ne suppose aucune étude préliminaire, que le paysan sait tout ; les autres, au contraire, conviennent de la nécessité d’apprendre &

  1. Il est assez singulier que du tems de Columelle les romains aient eu le même goût pour les arts inutiles, & la même insouciance pour les bons établissemens. Il est bien à craindre que deux siècles qui se ressemblent si fort pour le luxe & l’amour des ridicules frivolités, ne soient encore en rapport pour les siècles qui doivent leur succéder, Une cause générale a toujours des effets au moins analogues, s’ils ne sont les mêmes.